Déroulement d’une consultation type

Les difficultés de ces consultations sont de trois types, l’un, lié à la réactivation des souvenirs douloureux des personnes, l’autre à la difficulté de l’imputabilité des données recueillies, le troisième à la présence fréquente d’un-e interprète, personne cruciale qui n’est pas un simple acteur de traduction

Prise de contact – Le médecin précise au demandeur l’objet de la consultation. Il s’agit d’établir un dossier médical qui recueille les éléments déterminants.  Le médecin informe la personne qu’il va être contraint de la faire revenir sur des évènements qui ont été très douloureux pour elle et que ceci va sans doute raviver son traumatisme.

Lecture des documents apportés par le patient:  Le médecin prend connaissance

  • du récit : ce que le demandeur d’asile a déclaré
  • des notes d’entretien. Il est important de recueillirl’avis du demandeur d’asile sur l’atmosphère de l’entretien, ce qui permet de savoir sur quels points particuliers celui-ci a porté, sur les questions qui ont été posées et les réponses données.
    Elément à prendre en compte :
    → l’impression du demandeur d’asile sur le contact avec l’interprète. Ceci peut faire comprendre au médecin qu’il y a des questions auxquelles le demandeur d’asile n’a pas pu répondre, que d’autre part, certaines questions n’ont pas été posées, notamment celles concernant les traumatismes physiques, psychiques ou sexuels.

L’entretien proprement dit : est centré sur la description des traitements inhumains et dégradants, il doit se concentrer sur les différents épisodes de violence. Il faut que la personne puisse décrire ce qu’elle a subi : le nombre de séances de torture, le ou les lieux de ces séances, les techniques de torture utilisées (physiques et psychologiques [voir Protocole d’Istanbul, § 144, pages 30 et 31]), les zones du corps qui ont été touchées, l’existence de plaies ouvertes ou d’hématomes, les douleurs immédiates et si possible, le ressenti de la personne. Il convient de manifester la plus grande prudence dans l’évocation de tortures d’ordre sexuel, et d’être particulièrement attentif avec les femmes de certaines cultures.

L’entretien, amène la personne à décrire les sévices qu’elle a subis, il est souvent très douloureux, il peut être intolérable, et s’accompagner de phénomènes émotionnels, allant des larmes à l’effondrement ou à l’attaque de panique. Cette violence de l’entretien, et la culture d’origine des personnes expliquent que certains sévices ne puissent qu’être vaguement évoqués, quelquefois éludés et, souvent décrits de façon imprécise.

Les victimes de stress post traumatique présentent parfois une hypermnésie pour un détail de l’évènement traumatique qu’elles ont vécu et une amnésie pour le contexte. Le refoulement du souvenir conscient de l’évènement insupportable semble empêcher tout travail d’élaboration psychique sur cet évènement, c’est-à-dire toute verbalisation utile pour replacer le traumatisme dans son contexte. Le rappel conscient étant vécu comme « insupportable », il est automatiquement et systématiquement évité. Le souvenir « pathologique » du traumatisme n’a aucune chance d’être transformé en souvenir, certes pénible mais néanmoins épisodique et donc normal. Il perdure sous forme de rappels intrusifs, les « flash-back ».

C’est au médecin de comprendre l’attitude qui est humainement possible, même aux dépens de la précision des faits. Dans le texte de certains rejets, on lit que les sévices sexuels « n’ont pas été décrits avec assez de précision », alors que c’est au cours de cet entretien que se posent les problèmes difficiles de la mémoire au sens physiologique du terme et au sens de son fonctionnement. Pour un traumatisé on sait que la précision de certains détails et l’imprécision d’autres aussi importants, mais qui ont été occultés, est un symptôme de syndrome de stress  post traumatique. Cette discordance n’est pas une discordance consciente.

Le médecin s’efforce d’évaluer l’importance des séquelles psychologiques voire psychopathologiques en utilisant la classification du DSM 5 qui décrit l’état de stress post traumatique.  [Exposition à un événement traumatique – Symptômes de reviviscence de l’événement – Evitement des stimuli évocateurs de l’événement – Altération des cognitions et de l’humeur – Altération de la vigilance et de la réactivité – Durée supérieure à un mois. Le trouble est dit différé si le tableau clinique complet est constitué en plus de six mois, même si les premiers symptômes sont apparus avant – Le trouble cause une détresse significative ou une altération du fonctionnement social – Il n’est pas attribuable à une substance (alcool…) ou à une autre pathologie]

La majeure partie de ces symptômes figure dans le Protocole d’Istanbul (1999).

Il faut établir la distinction entre les symptômes qui sont pathognomoniques de syndrome de stress post traumatique et d’autres signes, significatifs de dépression ou d’angoisse mais qui sont moins spécifiques. On retiendra l’importance du syndrome de répétition qui déclenche des phénomènes de panique ou des cauchemars ecmnésiques ainsi que des terreurs nocturnes, des conduites d’évitement, d’hyper vigilance, d’hyper émotivité ou au contraire d’émoussement de l’affectivité et d’indifférence. On veillera aussi aux symptômes de type apragmatisme, asthénie physique et psychique, troubles de concentration intellectuelle et surtout le mépris de soi « la vie ne vaut plus rien » « je ne sais plus qui je suis » et au risque de passage à l’acte suicidaire.

Certaines personnes présentent des troubles cognitifs tellement envahissants qu’il est impossible d’en obtenir des données fiables.

 

Éléments de preuve psychologique : (Protocole d’Istanbul Annexe IV, page 76)

– Établir le degré de cohérence des observations psychologiques avec les sévices allégués.

– Indiquer si les symptômes psychologiques constituent des réactions prévisibles ou caractéristiques d’un stress extrême dans le contexte socioculturel du sujet.

– Indiquer la chronologie et l’évolution des troubles mentaux liés au traumatisme (situation dans le temps par rapport aux événements, stade de guérison).

– Identifier les éventuels facteurs de stress concomitants (persistance de la persécution, migration forcée, exil, perte de la famille et du rôle social, par exemple) et leur impact potentiel.

 

– L’examen clinique  porte, sur les troubles sensoriels avec l’appui si besoin d’avis spécialisés, sur les séquelles ostéo-articulaires [éventuellement documentées par des radiographies, des documents concernant les séquelles de traumatisme crânien,  (IRM par exemple)], sur l’exploration des conséquences sérologiques, (Hépatites B et C, VIH), sur la description des cicatrices (dimensions, aspects ; chaque fois que possible  des photographies sont réalisées et jointes au dossier), sur l’origine présumée des cicatrices (objet contondant, objet tranchant ou brûlure), sur l’existence d’un déficit moteur. Des schémas, comme ceux inclus en Annexe III, pages 66 à 73 du Protocole d’Istanbul, peuvent être utilisés.

Éléments de preuve physique : (Protocole d’Istanbul Annexe IV, page 76)

  • Établir le degré de cohérence des symptômes et infirmités physiques aigus et chroniques mentionnés avec les sévices allégués. (Note : L’absence d’observations physiques n’exclut pas la possibilité que les sévices allégués aient effectivement été infligés.)
  • Établir le degré de cohérence des résultats de l’examen physique avec la connaissance des méthodes de torture employées dans la région et de leurs effets.

Conclusion :

Le lien de causalité sera évoqué et précisé. Ce lien de causalité n’est pas toujours facile, voire même impossible à établir.

Rappeler les symptômes et infirmités qui continuent d’affecter le patient par suite des sévices allégués